Francois Guerif  Le Cinema Policier Francais Henri Veyrier Parfait

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LE CINEMA POLICIER FRANCAIS

GUERIF FRANCOIS

Préface de Jean-Patrick MANCHETTE

Edité par HENRI VEYRIER  

Couverture souple. 223 pages augmentées de nombreuses photos en noir etblanc dans et hors texte.

Parfait état. Les pages sont cousues.

 

Les articles du journal Libération

 

QUEEND'UN JOUR.FRANÇOIS GUÉRIF, ÉDITEUR FRANÇAIS, S' EST VU REMETTRE UN PRIX PAR LEGRATIN DE LA LITTÉRATURE POLICIÈRE D'OUTRE-ATLANTIQUE.

DÉPOSITION.

 

Par  Edouard WAINTROP — Libération du 8 mai 1997

NewYork envoyé spécial.

Debout,dans la salle verte du Hilton Towers de la 6th Avenue, François Guérif estnerveux. Ce n'est pas qu'il y ait du suspense: le Français sait déjà depuisdeux mois que pendant cette 52e cérémonie des Edgar-Allan-Poe Awards, appelésplus amicalement les Edgar, il va recevoir un prix spécial, le Ellery-QueenAward, pour son travail d'éditeur à Rivages. Une récompense convoitée dans lemonde du polar, un honneur rare que n'a pas connu un Français depuis que leplus français des Belges, Georges Simenon, a été élu président de la MysteryWriters of America, il y a une éternité. Mais ce que Guérif ne mesurait pas,c'est combien la cérémonie de ce soir de 1er mai sera peu intime. Il devrafaire son discours de remerciements en anglais devant plus de sept centsinvités, en quasi-totalité engoncés dans des smokings et robes du soir. Ainsiva la remise des Edgar: chaque année elle essaie de ressembler un peu plus auxoscars.

GeorgesChesbro, l'auteur moustachu et aux cheveux longs des Bêtes du Walhalla, lecréateur de Mango le nain, est un des rares à ne pas porter l'uniforme de lasoirée. Cela rassure un peu Guérif qui entre avec sa femme dans la grande sallede bal. Au fond, on entend les accords d'un orchestre de sexagénaires. Autourdes soixante-dix tables s'asseyent des représentants des grands éditeursnew-yorkais, de la télévision, du New York Times, des écrivains ­ notammentStuart Kaminsky, Evan Hunter alias Ed McBain, Richard Price ­, des critiques...Quelques-uns des 2 600 adhérents de la Mystery Writers of America, associationfondée en 1945. Guérif est déjà venu ici, il y a plus de dix ans, avec ClaudeMesplède et Didier Daeninckx. Autres circonstances: l'équipe couvraitl'événement pour la revue 813. «Et la salle était moins grande.» A la fin duprogramme, on peut lire un In Memoriam remarquable, où on salue lespersonnalités du polar disparues ces derniers mois. Avant tout des Américains,comme Harry Kemelman, l'auteur des aventures de Rabbi Small, ou Richard Condon,celui de Prizzi's Honor, mais aussi quelques Européens. Par exemple MargueriteDuras (1914-1996), citée ici parce qu'elle a écrit deux crime novels, notammentDix Heures et demie du soir en été. On y trouve aussi les noms de Michel Lebrun(1930-1996), «écrivain français de romans policiers qui a aussi publié desanthologies»; de Léo Malet (1909-1996), «dès 1943, il a publié une série dequinze romans, les Nouveaux Mystères de Paris, à l'humour noir prononcé, sur undétective privé, Nestor Burma... ces livres restent inédits en anglais»; etenfin d'Ernest Mandel (1923 -1995), «marxiste, auteur d'une histoire sociale dulivre policier (1984)». Cette érudition contrebalance la médiocre impressionlaissée par le dîner.

Vers 9heures, la remise des Edgar, de simples diplômes de papier, commence. Danschaque catégorie ­ meilleur roman pour jeunes, meilleure étude critique, meilleurenouvelle, meilleur livre sur un fait criminel réel, etc. ­, les lauréats ontété choisis par un jury spécifique, une poignée d'écrivains, eux-mêmes désignéspar le bureau du MWA. Juste avant qu'on attribue le titre de maître du mystèreà l'Anglaise Ruth Rendell, pour l'ensemble de son oeuvre ­ en son absence, car,militante travailliste, elle ne voulait pour rien au monde manquer lesrésultats des élections législatives en Grande-Bretagne ­, c'est le tour deGuérif.

DonaldWestlake, l'auteur d'Ordo et d'Histoires d'os, président de la MWA etsuccesseur à ce poste de Raymond Chandler, Ross MacDonald, Elmore Leonard etautres Ross Thomas ou Walter Mosley, prend la parole. «François Guérif est unécrivain, un éditeur et un ami.» Avant de célébrer la promotion depuis dix ans,par Rivages, d'auteurs américains comme Barry Gifford, Tony Hillerman, JamesEllroy, James Lee Burke ou George Chesbro, sans oublier lui-même, DonaldWestlake.

Ilajoute: «Les traductions françaises de nos livres sont excellentes. Uneconséquence de la formation de cinéphile de François: il a trop vu de filmsavec des sous-titres ineptes.» En bon anglais, Guérif rend hommage à ElleryQueen. Plus exactement aux auteurs des aventures de ce détective écrivain,Frederic Dannay et son cousin Manfred Bennington Lee, qui signaient d'un seulnom, Ellery Queen. Dannay construisait les intrigues, Lee les rédigeait. Lelauréat raconte qu'il a rencontré Dannay une fois, à Stockholm en 1981,quelques mois avant sa disparition. L'Américain l'avait félicité des'intéresser aux écrivains de polars, «des gens passionnants». Plus tard, aucalme, l'éditeur racontera comment la revue Ellery Queen Mystery Magazine abattu en brèche le maccarthysme en republiant des nouvelles de DashiellHammett. Comment aussi Lee et Dannay s'attaquèrent à la chasse aux sorcièresavec les chroniques de Whrightsville, où ils décrivaient une petite cité rongéepar le fascisme et la délation (1). Le lendemain, 2 mai, ailleurs dansManhattan, on remettra le prix Hammett à Martin Cruz Smith pour Rose.

(1)Signalons la réédition de deux beaux Ellery Queen: Et le huitième jour, qui futécrit par Avram Davidson (traduction excellente de Jean-Paul Gratias) etGriffes de velours (traduction Henri Thies), J'ai lu. 

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Poche revolver.

 

Par  Sabrina Champenois   — Libération du 18 juillet 2006

François Guérif, 61 ans, patron depuis vingt ans de lacollection de polars Rivages/Noir. Fidèle et exigeant, le découvreur françaisd'Ellroy accumule les talents de façon tatillonne.

Un an et demi plustard, il nous en veut encore, le dit droit dans les yeux : «Soixante ans de journalisme de James Cain : personne n'a réagi,je ne comprends pas. C'est ma dernière grande rage.»  FrançoisGuérif a pourtant des airs de nounours, silhouette haute et massive, visage auxrondeurs étonnamment juvéniles. Et puis, Guérif est aguerri : plus de trenteans d'édition au compteur, qui auraient dû l'immuniser contre la mécanique aléatoiredu tambour médiatique et lui faire adopter le flegme souverain de son chatBoubou. Mais voilà, le patron depuis pile vingt ans de la collectionRivages/Noir, prestigieuse écurie de polars (Ellroy, Westlake, Hillerman,Lehane, Taibo, Pagan...) autant que vivier de révélations (dernière en date,l'Anglais écorché vif David Peace), label de poche solide quand d'autresdisparaissent aussi vite qu'ils sont apparus, a toujours des révoltes de jeunepousse quand un livre qu'il juge génial est passé à l'as.

«Le désir est intact»,  dira-t-il plus tard. Etde parler de sa collection en termes de liens de sang : «ça peut sonner un peu cul-cul, mais Rivages/Noir, c'est un peuune famille au sein de laquelle les uns font beaucoup de choses pour les autres: c'est Ellroy qui m'a recommandé Eddie Bunker et Jack O'Connell, Robin Cookqui m'a fait publier Ted Lewis, Paco Ignacio Taibo qui m'a fait découvrirChavarria, etc.»  Or Guérif, en même temps qu'il publie unlivre, embrasse son auteur, et à partir de là, croix de bois, croix de fer. Nepas en conclure que l'admirateur de Conrad, Stevenson, Melville et Faulkner estdu genre à danseuses : plutôt Jeanne d'Arc, il dit avoir besoin d'«entendre une voix, une singularité»,  exigencestylistique autant qu'éthique dans un genre prompt au clonage. «François ne transige pas avec la médiocrité,  ditClaude Mesplède, historien du polar. Il n'y a pas chez lui de plande carrière ni d'échange de service. Il hait les compromissions.»  Elogepartial d'un ami ? Pas seulement.

On perçoit bien chezGuérif une aptitude au coup de sang, une violence du sentiment et de laconviction qui contredit son abord bonhomme, sa douceur, quand il évoque sesdeux fils traducteurs ou son épouse, un temps agent littéraire. Le débauchaged'auteurs, pratique courante, lui fait dire : «J'en aihorreur»,  avec une gravité qui sourd le jugement moral. Et sonmépris est palpable à propos de ses «chers collègues»  quiont fait monter les enchères pour tenter de débaucher James Ellroy («Le miracle qu'attend tout éditeur»)  au momentde L.A. Confidential,  en 1997. «Un jour, son agent m'appelle pour me signifier que la concurrenceoffre trois fois plus d'à-valoir. Heureusement, quelque temps plus tard, Jamesdit devant moi à son agent : "L'argent, on s'en fout. Le livre, c'est avecFrançois, sinon rien." Il m'a sauvé la mise, et c'était la deuxième fois.»

La première fois,c'était dix ans plus tôt, quand James Ellroy a été refusé par tous les éditeursfrançais... sauf François Guérif. «C'était son troisièmeroman,  Lune sanglante. J'ai été immédiatement sidéré.Mais pour l'acheter il fallait prendre les deux précédents, ce qui entraînaitpas mal de frais...Les patrons de Rivages faisaient de grosses réserves, maisj'ai tenu bon.»  Et boum, jackpot, actionné dans Libération  par le pape du néopolar Jean-PatrickManchette, sorti de sa retraite littéraire pour louer une «épouvantable puissance d'arrêt».  Aujourd'hui,l'affaire paraît évidente, mais Guérif tient à remettre les pendules à l'heure: «Jusqu'à Manchette, personne n'avait trop osé se prononcer :Ellroy sentait déjà le soufre, certains murmuraient qu'il était facho, ce genrede truc... Avant, il n'y avait eu qu'un article, de Michel Renaud dans  leDauphiné libéré.»

Se rappeler qui a écritquoi, et où, et comment, c'est tout Guérif. «Une mémoireexceptionnelle,  dit Mesplède, qui luipermet de retenir des détails ou des phrases entières d'un texte.»  Unsystématisme pointilleux aussi, qui rappelle le pinaillage des collectionneurspostadolescents à la Nick Hornby. Qui lui fait dire, par exemple : «En 1964, j'ai vu 171 films.»  Et qu'on retrouvedans sa façon d'éditer, qui privilégie la publication de l'oeuvre complèteplutôt que les «coups», le fait sortir des inédits de la naphtaline etcheviller des traducteurs à des signatures. Idem quand il parle d'un livre : ilva si vite au détail, à la citation près, qu'on se dit que ce fils d'unconducteur de métro et d'une vendeuse chez Bouchara a raison ; il n'aurait pasfait un bon prof... Il l'a été deux mois, d'anglais, au cours d'études delangues qui l'ont mené à un doctorat de civilisation et littératureaméricaines. L'anglais, auquel il est venu par le cinéma, sa première passion,qui a servi de tremplin à la seconde : «J'ai hanté la Cinémathèque dèsl'âge de 15 ans, dans le sillage de mon frère Jacques. Or, quand Langloisfaisait un cycle Minnelli, c'était tout en VO et sans sous-titres...Parallèlement, je lisais les magazines que Jacques achetait, les  Cahiersdu cinéma, Arts, et quand, par exemple, j'apprenais que  leGrand Sommeil était un grand classique de Raymond Chandler,eh bien je le lisais et tous les autres dans la foulée, et je procédais commeça chaque fois.»

L'édition, il y estarrivé «en cherchant une échappatoire au professorat».  Ilouvre d'abord à Paris la librairie le Troisième OEil, consacrée au 7e art, auroman policier et à la SF («Trois cultures populairessous-estimées»),  puis écrit à quatre mains un recueild'interviews de réalisateurs et scénaristes de films policiers, avantd'enchaîner par des bios d'acteurs (Newman, Redford...). «Elles ont bien marché, les éditeurs se sont dits :  "Ce garçon a de l'or dans les mains"  [ilrigole] et m'ont proposé de créer une collection... J'ai proposé du romanpolicier, alors qu'à l'époque le genre connaissait un de ses grands creux. Onm'a pris pour un fou, mais j'avais déjà ce côté jusqu'au-boutiste...»  RedLabel vivra deux ans, vingt-quatre numéros. Guérif rejoint alors Fayard Noir :rideau au bout de vingt-deux titres. Puis, pendant un an, il dirige Eroscope,une collection coquine qui le fait encore sourire («C'était folklorique, gentil»).  Huit parutions,et re-rideau. «Là-dessus, j'ai été rédacteur en chef adjointà  Télé-Ciné-Vidéo, ça m'a remis à flot. Quandsoudain, cette proposition de Rivages, de créer une collection de romanspoliciers. J'ai hésité vingt-quatre heures. Je me disais : "ça va encorefoirer au bout du vingtième."»

Vingt ans plus tard, ila fait de Rivages/Noir le principal rival de la Série noire de Gallimard, estlui-même entré dans les annales en 1997 avec le prestigieux Ellery Queen Awarddu meilleur éditeur de l'année, adoubement made in US  quin'avait jamais été accordé à un non-Américain. Pour autant, on l'imagine maltourner au rond-de-cuir, ce grand garçon de 61 ans aux allures de Chris Penn,aîné de Sean et acteur explosif foudroyé il y a quelques mois. Ne serait-ce quepour ces soirées qu'on l'a vu passer à parler livres et cinoche jusqu'au boutde la nuit, un verre de vieux rhum en main, un cigare dans l'autre («Le cigare m'a guéri de la cigarette»).  Commedroit sorti du tableau Nighthawks  d'EdwardHopper : oiseau de nuit, le nounours.

 

François Guérif en 6 dates.

16 novembre 1944. Naissance à la Limouzinière(Loire-Atlantique).

1973. Ouvre la librairie le Troisième OEil, àParis.

1978. Dirige les collections Red Label,FayardNoir et Eroscope.

1986. Crée la collection Rivages/Noir.

1987. Publie Lune sanglante de JamesEllroy.

1997. Prix Ellery Queen du meilleur éditeur del'année.

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«PAS UN FORÇAT DE L’ÉCRITURE»

Par  Sabrina Champenois — Libération du 3 janvier 2009

 

François Guérif, patron des collections Rivages Noir et RivagesThriller, publie Donald Westlake depuis 1986. Il réagit à l’annonce de sadisparition.

L’homme Westlake ? Travailler avec lui, c’était comment ?

Le bonheur le plustotal. Donald Westlake, c’était la gentillesse et l’humour réunis. Quand j’aicommencé à le publier chez Rivages, il m’a dit : «Ecoute, j’en ai assez d’être publié à droite et à gauche enFrance. Je te propose un marché : tu publies mes livres, et s’il y ena qui ne te plaisent pas, tu me conseilles un autre éditeur…»

Le «stakhanovisme»qu’on lui prête n’avait rien de douloureux, il lui venait naturellement et ne l’empêchaitpas du tout de vivre, de voyager avec sa femme notamment. Donald Westlake, cen’est pas un «forçat de l’écriture» type Simenon.

Là, il nous restecinq inédits en réserve, dont deux qui relèvent de la série desParker [truand et tueur de sang-froid, ndlr]  etun avec Dortmunder [cambrioleur approximatif,ndlr].

Il occupe une place particulière dans le roman noir. Vous luivoyez un héritier ?

Westlake est à mes yeux le plus grand des auteurs de la deuxièmegénération du roman noir américain, celle qui a succédé à celle des Hammett,Chandler, Irish… Il a commencé comme tous par le thriller, en respectantles codes du genre. Puis il s’en est affranchi avec l’humour, réalisantqu’il n’y perdait en rien l’émotion. Là-dessus, il s’est mis à explorer.Comme l’a dit Manchette (1), Westlake est un auteur qui réfléchit au genreet qui le renouvelle par la qualité de l’écriture.

Je ne lui vois pas d’héritier. Certains auteurs lui rendent deshommages ponctuels, mais de là à atteindre sa vivacité d’esprit, sa facilitéd’exploration et sa capacité de variation… Il y a deux pôles dans l’œuvre deWestlake, ses séries avec Parker d’un côté, Dortmunder de l’autre, mais à côtéde ça, il y a une production de factures et de thèmes très divers.

Il peut se fendre de brûlots à résonance sociale, comme«le Couperet».

Ah mais absolument, et il y ades tas de choses très âpres dans ses romans. C’est évident dansle Couperet [où un ingénieur au chômage se met à liquider ses concurrentspotentiels, piégés par des vraies-fausses annonces de recrutement, ndlr], dontil disait qu’il avait ressenti «la nécessité de l’écrire». Mais quand onconsidère le personnage de Dortmunder, ce cambrioleur qui s’attaque auxnantis, ça n’est pas anecdotique. Et un livre comme Dégâts des eaux, où uneville entière est engloutie par le dynamitage d’un barrage, par l’appât dufric, est clairement politique. Donald Westlake, c’est aussi la revanche deslosers, les Pieds Nickelés qui peuvent remporter la mise : comme l’a ditun jour Tonino Benaquista, il inverse les choses, et les rapports deforce.

 

(1)     Fervent westlakien, J.-P. M. fut son traducteur à plusieursreprises. On lui doit un essai intitulé «Notes sur l’usage du stéréotype chezDonald Westlake» paru dans la revue Polar.

 

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FRANÇOIS GUÉRIF EN SON CONTINENT NOIR

Par  Sabrina Champenois — Libération du 12 juin 2013

 

Entretiens avec l’éditeurdéfricheur

«Je me souviens d’un jour oùnous étions allés manger au Pacific Dining Car. Nous étions dans la voitured’Eddie  [Bunker,ndlr], une grosse décapotable. Eddie conduisait. Avec Ellroy à côté. Moi,j’étais à l’arrière. Eddie était sapé comme un marlou, en costume gris,cravate, avec sa gueule pas possible. Ellroy avait un look plus décontracté,genre chemise à fleurs. Pendant qu’il conduisait, Bunker fumait un joint. Quandil s’arrêtait à un feu, il se baissait pour se cacher. Ça rendait Ellroycomplètement dingue. Il lui disait - et il n’avait pas tort - : Mais est-ce quetu te rends compte que si un flic t’arrête, tu retournes directement en tauleet t’en sors plus jamais ? […] Et l’autre lui disait : "C’est bon, ça va,je contrôle." Voyou jusqu’au bout.»

François Guérif, c’estnotoire, est une encyclopédie vivante du polar, dont l’expertise dépasselargement les frontières des collections qu’il a créées. La plus connue,«Rivages/Noir», qu’il dirige depuis vingt-sept ans, l’a installé sur le podiumdu genre. Mais le gaillard au regard perçant est aussi un remarquable passeur desa passion, conteur qui allie mémoire phénoménale, goût de la précisionmaniaque, art de l’anecdote. C’est ce qu’atteste Du polar,  recueil d’entretiens avec lejournaliste Philippe Blanchet.

A 68 ans et malgré un catalogue royal au sommet duquel trôneJames Ellroy, Guérif ne fait pas la leçon en surplomb, il raconte une vied’engouements pour des livres mais aussi leurs auteurs et c’est vivant comme unfilm. Ce qui se tient, vu la cinéphilie de l’intéressé, également notoire -Guérif est venu au polar par les films noirs, allant ensuite lire les romansdont ils étaient tirés.

Claque.

Qu’on ne s’y trompepas, le polar est une affaire très sérieuse pour Guérif, qui se demande bienpourquoi d’aucuns escomptent une lecture facile et qui, à chaque fois qu’il a lancéune collection, l’a fait avec un livre qui valait «déclaration d’intention».

Le genre est unbusiness et Guérif ne nie pas les enjeux économiques. Mais le «patwon»,  comme l’appelait Robin Cook auquel ilconsacre des pages renversantes d’amitié et d’admiration mêlées, tient «une ligne»,  et elle n’a rien de flottant. Voir,par exemple, comment il étrille l’Américain Thomas Harris : «Si  Dragon rouge est unchef-d’œuvre, la suite est franchement moins glorieuse. Harris revient avecHannibal Lecter dans  le Silence des agneaux, pour en faire - et je trouve ça très douteux d’un point de vuemoral, éthique -, un vrai héros. Comment peut-on trahir jusqu’à sa propreapproche d’un personnage ?»  Guérif met au passage une claquebienvenue au personnage de serial killer, ce marronnier du polar : «Evidemment, c’est facile de créer de l’intérêt comme ça : […] unefemme qui a été attachée à un poteau, après qu’on lui a percé le sein gaucheavec un clou rouillé et arraché le clitoris avec une pince, les lecteurs fontahhhhh !»

 

Moisson.

Guérif le défricheur,l’amateur de «voix»  singulières capabled’encourager les écritures les plus pointues type David Peace ou Jim Nisbet,peut aussi surprendre. En se montrant par exemple magnanime envers AgathaChristie. Ou en s’enflammant pour Sherlock Holmes. «Il est moderne parce que bien qu’enquêteur, c’est un anarchistecomplet dans sa façon de penser. Il est moderne parce qu’il se drogue. Il estmoderne parce qu’il n’est pas croyant - il n’y a pas une nouvelle où Holmess’en remet à Dieu. C’est un asocial. […] Il est moderne parce qu’il préfigurela police scientifique. […] Bref, il est unique.»  Du Polar  brasse, embrasse le genre. Une moissonnoire recommandée à l’aficionado comme au simple curieux.

 

François Guérif  . Dupolar. Entretiens avec Philippe Blanchet,  «Manuels»Payot, 306 pp., 20 €.

 

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Les films noirs de François Guérif

Par Edouard Waintrop  — Libération du 20 septembre 2013 

 

François Guérif,tout le monde ou presque le sait, est un grand éditeur de romans noirs, qui amontré son talent en créant des collections comme Red Label chezPAC ou Rivages Noir et Rivages Thriller chezPayot. 

Interroger cet admirateur de Robert Mitchum sursa carrière de découvreur, sur les auteurs qui l’ont impressionné, de ConanDoyle, David Goodis ou James Cain à David Peace ou Daniel Woodrell, sur sesrelations avec James Ellroy, Donald Westlake, James Lee Burke, sur Jean-PatrickManchette, Robin Cook, Pierre Siniac ou Léo Malet, promettait donc d’êtrepassionnant. 

C’est eneffet un livre à lire, à dévorer même que Philippe Blanchet a réalisé avecGuérif sous le titre de Du polar (1). Dangereux aussi pourle lecteur impécunieux qui sera attiré vers un achat imprévu au détour d’undéveloppement sur tel ou tel auteur (quant à moi c’est Dernière nuit àMontreal d’Emily Saint John Mandel qui m’a appâté … et une demidouzaine d’autres).

Je mesouviens cependant que nous ne sommes pas là sur ce blog pour parler polar,mais cinéma. Justement ce qui m’a frappé dans le livre c’est la manière dontl’éditeur raconte comment il a été attiré par  le genre...

«Verstreize quatorze ans j’étais un fou de cinéma et plus spécialement du cinémaaméricain et de cinéma de genre. Et dans le cinéma de genre il y avait le filmnoir.»

Nous sommes autout début des années 60, François G. lit les Cahiers du cinéma jauneset Arts d’André Parinaud (et de Jacques Laurent) et du couples critiques de cinéma de François Truffaut.  

Lescinéphiles de sa bande ne se contentent pas de voir les films noirs, ils lisentles livres dont ils sont inspirés. Le lien est immédiat. Et surtout iln’implique aucun ostracisme ou, comme le disent certains politicienscontemporains, aucun sectarisme. 

Du coup iln’est pas surprenant que Guérif, alors jeune homme, et son compère StephaneLevy-Klein proposent aux Editions Séghers de publier un livre sur le cinémapolicier français et qu’à cette occasion ils interviewent  JeanPierre Melville, Christian-JacqueJean DelannoyBernardBorderieHenri Calef, etc.

«Desréalisateurs que personne n’interviewait jamais, explique Guérif. Etpuis j’ai insisté pour que l’on prenne aussi en considération les scénaristesde l’époque… Nous avons vu Michel Lebrun, Albert Simonin, Auguste Le Breton…»En fait le livre qui a failli passer ensuite chez Lherminier n’a jamais vu lejour. Il a permis au jeune fan de polar de tisser des liens qui lui ont ensuitebien servi.

Puis Guérif apris contact avec Maurice Périsset qui créait une nouvelle collection chez PACet il a écrit pour lui un livre sur Paul Newman quiest sorti en 1975. Le livre a marché et Périsset lui a demandé de continuer.Sur Belmondo. Puis ce sera un autre sur Robert Redford,puis sur Brando puis sur McQueen. La plupartmarchent du feu de dieu et cela donne à Guérif le courage de se lancer,toujours chez PAC, dans la publication de polars inédits. «C’est comme celaque Red Label est né».

Il va révélerRobert Bloch qui est alors surtout connu comme l’auteur de Psychose lelivre, étouffé par Psychose, le film …

«Truffaut estcoupable quand il dit à Hitchcock : »vous êtes un génie, vous avezpris un matériau indigne et vous l’avez transformé en chef d’œuvre. « D’ailleursBloch en avait gros sur la patate. Pourtant Hitchcock a déclaré plus tard quetout le film était dans le roman de Robert Bloch.» 

FrançoisGuérif va donc publier des inédits de Bloch, puis deux de John Dickson Carr etdu Ellery Queen. Le tout contre la mode de l’époque. Celle-ci va heureusementchanger. 

Guérif est unadmirateur de Jim Thompson. Evidemment il y a des Thompson mineurs, LeTexas par la queue par exemple .

« Unbouquin … on va dire sympa. Sauf qu’il y a un chapitre qui contient un momentabsolument magnifique, où le héros qui construit une ville dit à son fils, jecrois: » La vie estcomme une bassine de merde dont les poignées sont des fils de fer barbelés …«Et ne serait ce que ça… Chabrol (qui aété l’un des grands copains de Guérif, ndla) m’a raconté une histoireque j’adore. Lors d’un hommage à Minnelli, il va voir Les Quatrecavaliers de l’apocalypse. A la sortie de la projection, Langlois, ledirecteur de la Cinémathèque lui demande: »Qu’est ce que tu en penses ?« Et Chabrol luirépond que c’est quand même décevant. Langlois lui dit: »oui, mais il y aquand même des moments sublimes «, et Chabrol approuve.»Et bien alors, s’exclame Langlois. Dans un film on sesouvient des moments sublimes, on se fout des moments ratés…« 

Guérif évoqueégalement avec tendresse Léo Malet, parle des détectives privés, de la quasiimpossibilité de leur existence dans le monde réel de ces héros qui ontpourtant permis à Hammett, Chandler et Ross McDonald de signer quelques uns desplus beaux romans du genre.

Il parle de l’impossibilité rédhibitoire d’existence de ce protagonisteen France: vrai hérosfrançais c’est Maigret. Il n’agit pas comme un détective privé, c’est uncommissaire de police et il a des adjoints. Que Simenon  respecte ou nonla procédure du Quai des Orfèvres, on s’en fout. Celui qui rend mieux compte dece qu’est un rivé en France, c’est  François Truffaut , dans  Baisers Volés. Truffaut s’étaitbeaucoup renseigné sur la profession parce qu’il adorait ça. Le rôle dudétective privé tel qu’il le présente dans le film c’est des enquêtes decocufiage, et rien d’autre…«

 FrançoisGuérif s’attaque aussi au roman anglais surtout à la »Queen« du genre, AgathaChristie dont certains romans (Les dix petits nègres et LeMeurtre de Roger Akroyd) ne respectent pas la logique. Et de reprendre lacritique qu’avait adressée Raymond Chandler à ces romans: »On se foutcomplètement du lecteur et sans l’ombre d’un scrupule ».

 « Mêmes’il est habile le récit n’est pas honnête: le narrateur omet volontairementdes faits pour égarer le lecteur, dit Guérif à propos du Meurtre de RogerAkroyd. Si dans la logique d’un récit on me prend pour un con, je ne suis pasd’accord. L’exemple que je cite volontiers c’est Ne le dis à personne, le filmde Guillaume Canet. Je suis désolé mais il y a deux flash backs à la fin et çame choque. »

«  Usual Suspects est un film passionnant, mais nefonctionne pas. A un moment le héros est à deux endroits à la fois. Deuxendroits différents, ce qui est impossible. On trouve un eu la même chosedans Snake Eyes de Brian de Palma.Nicolas Cage arrive en haut du stade et il regarde en bas, où il se voit à dixrangs de là ! Le problème de logique est important. Un jour, avec Chabrol,on parlait des faux flash backs, qui sont inadmissibles et je lui dis quemême Hitchcock l’a fait. il me répond: «Commentça Hitchcock l’a fait ? » Je lui réponds : «Bah dans Le GrandAlibi, le type du flashback…» Chabrol s’énerveet me traite de tous les noms. J’ai revu le film, Chabrol avaitraison. Le type qui raconte ment, mais l’image ne ment pas. Et dans LeDoulos c’est pareil: tu vois Belmondo aller dans une cabinetéléphonique puis plus tard raconter à Serge Reggiani le contraire de ce qu’ila fait. C’est le commentaire qui ment, l’image -elle- ne ment pas. »

Mais Guérifn’est évidemment pas anti-britannique en termes de romans noirs ou d’espionnage.Il parle ainsi avec beaucoup de sympathie d’Eric Ambler et essaie de comprendrepourquoi ses romans admirables (Epitaphe pour un espion est pourmoi un chef-d’œuvre) n’ont pas marché en France. Il évoque Ted Lewis un « auteurpuissant », que même l’adaptation de son chef d’œuvre, GetCarter par Mike Hodges (un filmsuperbement noir avec Michael Caine dans le rôle titre) n’a pu tirer d’unrelatif anonymat. Et évidemment, il raconte son amitié pour Robin Cook,l’Anglais au béret, l’auteur de J’étais Dora Suarez, livre plusnoir que le noir...

Et Guérifrevient aux Etats-Unis afin de dire son admiration pour James Lee Burke et aupassage de l’adaptation de Dans la brume électrique par BertrandTavernier alors qu’il n’était pas convaincu par Coup deTorchon.

Mais il estvrai que Coup de torchon n’était pas l’adaptation d’unThompson mineur mais d’un chef d’œuvre doublé d’un livre culte, Pop.1280, traduit en français, allez savoir pourquoi (2), par 1275âmes… Et dont tout le monde était fan et donc avait en tête sa propreadaptation...

 

1) FrançoisGuérif, Du Polar, entretiens avec Philipe Blanchet, ManuelsPayot, 20 euros. 

2)Jean-Bernard Pouy a écrit des pages drôles sur ce sujet.

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LES ÉPÎTRES NOIRES DE FRANÇOIS GUÉRIF

Par  Alexandra Schwartzbrod — Libération du 15 juillet 2015

La BNFs’est vu confier une partie des archives de cet éditeur star qui agagné la confiance des grands auteurs de polars et livreà «Libération» les souvenirs de leurs correspondances.

Editeur emblématique, chez Rivages,de grands noms du polar (James Ellroy, David Peace et bien d’autres), FrançoisGuérif vient de donner une partie de ses archives à la Bibliothèque nationalede France (BNF). L’idée lui avait été suggérée, il y a quelques années,par Bruno Racine, le président de l’institution, lors de la réception qui avaitsuivi le transfert des archives de la femme et du fils de Jean-PatrickManchette. «Je n’y avais jamais pensé avant,  nousa-t-il confié fin juin dans sa maison de Normandie. Il y avait à cela un petit côté solennel et prétentieux qui megênait.»  Et puis l’idée a fait son chemin.

Avec sa femme, Catherine, il a plongédans les lettres et manuscrits disséminés dans ses bureaux et constitué despochettes par auteur. «Le paquet est resté un an etdemi chez moi avant que la BNF le récupère. Je suis très content que tout celasoit sauvé, on n’est pas éternel.»  François Guérif se souvientd’Ellroy apprenant, effondré, que son meilleur copain avait mis aux enchèresles lettres qu’il lui avait adressées. «Moi, je ne pourrais pas faireça.»  Lui qui se dit «un peu bordélique»  confesseavoir d’autres pépites planquées ici ou là. «J’ai une pièce de théâtre deRalph Messac et Léo Malet,  Contredanse pour un maîtrechanteur. Et un manuscrit de Michel Lebrun. Et je croisbien que j’ai un scénario de Truffaut avec des annotations manuscrites, mais jene sais plus où il est.»

Pour Libération,  ila accepté de raconter la teneur de ces archives, laissant divaguer ses penséessur ces auteurs qui ont compté.

Léo Malet

«C’est avec lui que j’ai correspondule plus, j’avais environ 80 lettres avec, chaque fois, un petit dessin desa main ou un montage photo dans l’esprit des collages surréalistes. Jel’entends encore me dire : "Mon vieux Guérif, je vousécris car les paroles s’envolent, les écrits restent."  C’estgrâce à Albert Simonin que je l’ai connu. On avait fait un livre avec StéphaneLevy-Klein sur le cinéma policier français, et Simonin nous avait dit à la fin: "Etes-vous allés voir Léo Malet ?"  Maletme dira plus tard de Simonin : "C’est le Chateaubriand del’argot."  Malet était très pointilleux sur l’écriture.D’où le vouvoiement. J’avais vu chez lui un bouquin de cape et d’épée qu’ilavait publié, le Capitaine Cœur-en-Berne,  etje le lui avais demandé. Il m’avait répondu : "Pasquestion que je vous le passe, mon vieux Guérif."  Maistous les deux jours il m’envoyait une photocopie d’un chapitre avec, au dos,une lettre manuscrite.

«Léo Malet a commencé à publierpendant l’Occupation. Quand Manchette sort son premier livre [en 1971, ndlr],  il a donc quasi arrêtéd’écrire. Il était tombé dans l’oubli, il avait perdu son pavillon de banlieueet avait été relogé dans un HLM à Châtillon-sous-Bagneux [Hauts-de-Seine].  Il a été redécouvert par Libé,  et il a eu une seconde chance avec laréédition des "Nestor Burma" et notamment la série "les NouveauxMystères de Paris", qui se déclinait par arrondissement.

«"Mon vieux, tout arrivetrop tard",  m’a-t-il dit un jour. Quand je suis allél’interviewer pour un livre sur le cinéma policier français, il n’avait pas vude journaliste depuis des années. Il m’avait envoyé un petit mot, et sur sacarte de visite il était marqué : "Il n’y a pas pire citoyenque ce Malet",  une phrase de Fouché, alors ministre deNapoléon. On a sympathisé. Peu après, j’ai fondé la revue Polar,  on a fait un numéro spécial Léo Malet,c’était l’époque bénie où il y avait un cocktail du Masque tous les ans,j’avais réussi à le persuader de rééditer tous ses romans policiers souspseudonyme, ce qui a vraiment scellé notre amitié. Je voulais que des gensdifférents lui rendent hommage.

«A l’époque, il était situé à droite,un peu Algérie française. Manchette, lui, était à l’opposé, le symbole de larébellion. Pourtant, il lui a écrit une préface magnifique qui l’a beaucouptouché. J’aime Léo Malet non pas pour la qualité de ses intrigues, mais parceque c’est une très belle écriture, un témoignage extraordinaire sur le Parisdisparu. C’était un piéton de Paris. Il a été très triste quand Marcel Duhamell’a refusé à la Série noire. "Votre personnage, vous netrouvez pas qu’il est un peu crapulard ?"  lui aurait-ildit. Quand le succès est arrivé, il était trop vieux pour déménager, il estmort dans son HLM, assez aigri. Il disait : "Il a fallu que ce soit unAméricain qui vienne me tendre la main",  car c’est BobSwaim qui, le premier, a tourné un Nestor Burma avec Galabru. Il estredevenu à la mode comme ça.»

Jean-PatrickManchette

«Avec Manchette, je n’ai pas beaucoupcorrespondu, cela passait surtout par le téléphone. Il était agoraphobe. On l’afilmé pour Etoiles et Toiles  deFrédéric Mitterrand. Il habitait près de Nation et le réalisateur Pierre Zuccavoulait tourner dans le bois de Vincennes : plus il s’éloignait de Paris, plusil blêmissait ! Il téléphonait, parlait d’une voix enjôleuse, et ça pouvaitdurer trente à quarante minutes. Un jour, il me dit : "Oh dis donc, tu as publié un livre fameux."  C’étaitle premier livre d’Ellroy, Lune sanglante,  quiétait un gros pari pour moi ; j’en avais acheté deux autres derrière malgré ledésaccord du patron de Rivages et alors qu’il ne marchait pas du tout.L’attaché de presse a dit à quelqu’un de Libé  queManchette adorait Ellroy, Libé  a demandéun papier à Manchette, et ce papier lança Ellroy. Ce qui prouve que Manchetteavait un œil. Et des opinions tranchées.»

PierreSiniac

«Lui aussi, c’était un typeformidable. Il était sourd, assez loin du monde. Il avait inventé deuxpersonnages : Luj Inferman’ et la Cloducque, un petit malin et un géantdont on ne savait de quel sexe il était, deux clochards de banlieue. C’était unauteur délirant et merveilleux, la grande découverte de Robert Soulat. Je l’aiprésenté à Léo Malet. A l’époque, j’avais fondé une bouquinerie, le TroisièmeŒil, et ils y passaient tous les deux. Il est tombé dans l’oubli. Pire, il estmort tout seul dans son HLM, on l’a retrouvé parce que la voisine a vu des verssortir de sous la porte. Un jour, une femme m’appelle pour m’avertir qu’elleavait vu au marché Georges-Brassens [à Paris]  unferrailleur qui vendait des lettres de Siniac. En fait, le frère de Siniacavait demandé au ferrailleur de vider l’appartement. Du coup, il avait200 manuscrits originaux. Je suis allé avec Philippe Lançon voir leferrailleur. Philippe a fait un article dans Libé  et, grâceà ça, l’Institut mémoires de l’édition contemporaine a pu en racheter unepartie. Il y avait deux lettres de Siniac à Manchette, le ferrailleur me les adonnées, les deux hommes s’écrivaient tout le temps.»

Howard Fast

«J’ai quelques lettres de lui. Je mesouviens d’un jour où, à Aubervilliers [Seine-Saint-Denis],  oninaugurait une place Dashiell-Hammett. L’un des invités est William McIlvanney.Je l’avais invité à dîner chez moi. Dans l’après-midi, il m’appelle et me dit,un peu gêné : "Je suis avec Howard Fast et sa femme,ils sont tout seuls dans Paris, est-ce que je peux les amener avec moi ?"  Mafemme renâcle un peu, mais on dit OK. Et ce fut une soirée bénie des dieux. McIlvanneya chanté des chansons écossaises, Howard s’est déchaîné sur le film Spartacus,  affirmant que le scénario avait étéécrit par Stanley Kubrick, Peter Ustinov et lui-même, et non par Dalton Trumbo,crédité au générique. Après ça, j’ai republié Sylvia.  Ilm’a signé ses Mémoires  : "Good food and good talk."  Dans mespapiers, il y avait une pièce de théâtre inédite de lui, sur les débuts dumaccarthysme. Il m’avait écrit : "Je te donne cette pièce,si tu vois que quelqu’un est intéressé, tu peux y aller."  Jen’ai pas trouvé preneur.»

James Ellroy

«Avec lui, malheureusement, oncorrespond par mail, et je ne garde rien. Et puis il va droit au but, ce n’estpas le genre à correspondre. Il écrit ses manuscrits à la main en lettrescapitales, ça fait bizarre. Il fait des plans de 400 pages avant d’écrire.Cela me fait penser que j’ai un scénario de lui inédit, il faudrait que je leretrouve. Le Cauchemar dans la rue  deRobin Cook avait été mon premier grand format chez Rivages. Mais c’est le Dahlia noir  qui a lancé lacollection [RivagesThriller].  Je mesouviens d’être allé chercher Ellroy à l’aéroport ; je lui propose deboire un café, il se penche vers moi et me demande : "François, quel est le livre de moi que tu préfères ?"  Etce fut le début d’une longue amitié. Il nous est arrivé de partager la mêmechambre d’hôtel, il m’a emmené dans les rues de Los Angeles où il agrandi. Il me racontait que petit, il s’asseyait dans l’herbe, regardait lespassants en se disant "mais où vont tous cesgens ? Moi aussi, quand je serai grand je serai quelqu’un".»

FrançoisTruffaut

«J’avais deux lettres de lui. Dontune passionnante. Je l’ai rencontré lors de la ressortie de Tirez sur le pianiste,  il m’avait dit : "J’ai deux lettres de David Goodis et aussi quelque chose quipeut vous intéresser ; une lettre de Helen Scott, représentante d’Unifrance auxEtats-Unis, où elle raconte qu’elle a vu débouler Goodis dans son bureau commeun fou, et elle retranscrit tous ses propos."  On y trouvenotamment cette phrase magnifique de Goodis : "Jen’écris pas des romans policiers, j’écris des mélodrames avec action."

SamuelFuller

«Je l’ai vu souvent, je suis même augénérique de son dernier film. La connexion s’est faite autour de Sans espoir de retour  (Streetof no return),  qu’il réalisait d’après un roman de DavidGoodis. Je l’ai mis en contact avec Jacques Bral, son producteur etcoscénariste, et je leur ai servi de traducteur. Quand Fuller est reparti auxEtats-Unis, il a voulu dire adieu à quelques personnes à Paris. Il habitaitprès de Vincennes. Dans la cour, il y avait ce vieux monsieur avec unecasquette et une canne. Je vais vers lui, lui tape sur l’épaule et lui dit: "Hello Sam."  Il se retourne, son visages’illumine, et il s’exclame "Hello handsome !"  (Rires).  Il vous agrippait comme ça, par le bras,avec des yeux de chat. Et il était passionnant.»

ClaudeChabrol

«Ah "Cha-Cha" ! (c’estcomme ça que je l’appelais). J’ai peu de lettres de lui, peut-être une ou deux.J’ai des préfaces manuscrites qu’il avait faites car nous avons codirigé lacollection Rivages-Mystère. Chabrol disait : "Il faut être humblepour faire un polar."  Pour moi, il faisait partie de mafamille.»

David Peace

«Il commençait à être considéré commeun des auteurs les plus prometteurs, quand j’apprends que son agent anglais aenvoyé son nouveau livre à un autre éditeur en France. Je lui ai envoyé unmail, ça a été réglé dans les cinq minutes. Tous les auteurs que j’ai publiés,y compris Dennis Lehane, sont d’une loyauté totale. Ellroy, quand un de sesagents lui a proposé d’aller voir un autre éditeur, lui a dit : "Si tu m’enlèves François, je te quitte."  Westlake,chaque fois qu’on a essayé de me le piquer, il a refusé. Elmore Leonard, quandil est arrivé chez moi, était best-seller aux Etats-Unis mais un peu oublié enFrance. Il m’a expliqué plus tard : "Donald Westlake m’a ditque c’était chez toi que ça se passait, alors j’ai dit à mon agent que c’étaitlà que je voulais être."

«C’est un travail de longue haleinel’édition, j’ai toujours été contre les coups. David Peace, lui, m’est venu parl’éditeur de Robin Cook. Un jour il me dit : "On publie un livre.Celui-là, tu devrais y faire attention."  J’ai lu 1974,  et cela a été un choc. Dans Perfidia  [le dernier Ellroy],  ily a des dialogues en japonais ; James Ellroy a demandé à David Peace devérifier, car sa femme est japonaise, et il parle japonais. C’est ça qui estformidable, mes auteurs ont même des relations de confiance entre eux.»

 

 

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FRANÇOIS GUÉRIF, L'ÉDITEURD'ELLROY, LEHANE ET PEACE, REJOINT LA MAISON GALLMEISTER

Par  AlexandraSchwartzbrod — Libération du 26 janvier 2017

 

Fondateurde la collection Rivages Noir, François Guérif passe chez Gallmeister pourpublier «de nouvelles voix de la littérature américaine».

 

C’est un monstre duroman noir qui change de maison d’édition. François Guérif, l’éditeur culte deJames Ellroy, Dennis Lehane ou David Peace, quitte Rivages, dont il a dirigépendant trente ans la collection Noire, pour rallier les éditions Gallmeister.Auprès d’Oliver Gallmeister, le fondateur de cette maison indépendantespécialisée dans la littérature américaine, il «se consacrera à la publicationde nouvelles voix de la littérature américaine et à l’édition de classiquesaméricains à raison de cinq à dix livres par an».  Son premier projetconsistera à éditer l’œuvre de James Fenimore Cooper, auteur du célèbreroman Le dernier des Mohicans  dont une nouvelle traductiondevrait être publiée en septembre dans la collection poche de la maison, Totem.

 

Principale question,Guérif quitte-t-il Rivages en emmenant ses auteurs fétiches aveclui ? «Il est hors de question de piller la maison Rivages et, enplus, je n’en ai pas les moyens»,  nous a assuré Gallmeister. JamesEllroy reste donc chez Rivages mais il n’est pas impossible que Guérif demeureson interlocuteur. L’auteur du Dahlia Noir,  de LAConfidential  et d’American Tabloïd  a une relationparticulière avec le fondateur de Rivages Noir qui a contribué à le rendrecélèbre en France et avec qui il a noué une amitié solide. On l’imagine bienexiger de continuer à travailler avec lui et avec lui seul. Unique auteurembarqué à ce jour chez Gallmeister, William Boyle, ce qui est symboliquementintéressant puisque Gravesend , le premier roman de ce jeune auteuraméricain fan de Harry Crews, avait été choisi l’an dernier par Rivages Noirpour fêter les trente ans de la maison et arborer le numéro 1000. Un auteurque, ironie de l’histoire, Gallmeister avait en son temps tenté de récupérer.

 

Cette migration estl’aboutissement d’un long processus de «désamour» entre Guérif et Rivagesdepuis le rachat de la maison d’édition par Actes Sud en 2013. Il était denotoriété publique que l’homme ne se sentait plus en phase avec son universprofessionnel et s’interrogeaitsur son avenir. A 72 ans, il n’avait aucune intention de décrocher même si  la cession d’une partie de ses archives, en2015 à la BNF  (Bibliothèquenationale de France), avait pu laisser penser qu’ilvoulait prendre du champ. Nous l’avions rencontré longuement alors dans samaison de Normandie où, avec sa femme Catherine, il venait de passer plusieursmois à tenter de faire le tri dans les tombereaux de lettres et manuscritsdisséminés à chaque étage des lieux. Evoquant Ellroy, il avait ce jour-làlaissé trainer son regard sur la tonnelle avant de prononcer cette phrase quinous avait fait bondir. «Cela me fait penser que j’ai un scénario delui inédit, il faudrait que je le retrouve.»  L’avenir dira si cescénario inédit a été retrouvé et où il échouera.

 

Oliver Gallmeister etFrançois Guérif se connaissent depuis longtemps. «Dès 2007, j’ai eu leprojet de créer une collection noire , nous a raconté Gallmeister, j’avaisacheté trois ou quatre titres américains en prévision et puis cela ne s’est pasfait à ce moment-là. Je me souviens, j’avais écrit à Guérif pour lui dire quej’avais voulu le concurrencer mais que, comme ce n’était pas possible, je meproposais de lui vendre les titres que j’avais acquis. Et il les avaitachetés.»  La collection Noire va être créée peu de temps après si bienque, en 2010, Guérif et Gallmeister vont se retrouver lauréats du Prix du romannoir du Nouvel Obs dans deux catégories différentes, le premier pour Hervé LeCorre, le second pour Craig Johnson. C’est là qu’ils ont vraiment faitconnaissance. «Nous avons dîné ensemble et, depuis, nous n’avons pasarrêté de nous voir» , dit Gallmeister.

 

Il n’est pas étonnantque les deux hommes s’entendent. Ils ont la même passion pour la littératureaméricaine, et notamment pour les grands noms du noir. Gallmeister vient ainside publier, dans une nouvelle traduction, un des plus beaux romans de JamesCrumley, Le dernier baiser . Un auteur que Guérif a justement publiépar le passé. «François, c’est un de mes maîtres en édition, un immenseéditeur , dit Gallmeister. L’idée, c’est qu’il vienne avec saculture et ses goûts.»  Le fils de Guérif, Benjamin, qui travaillaitaussi chez Rivages, s’occupe depuis quelques semaines de la collection poche,qui vient d’être relookée avec une nouvelle maquette, mais Gallmeister affirme que «c’estun événement parallèle, il n’y a pas de pacte Guérif» . Soit. Ce qui estsûr, c’est que l’arrivée de l’éditeur emblématique de Rivages Noir devraitdonner un nouveau souffle à cette maison créée en 2005 pour, au démarrage,imposer en France un genre très particulier, le «nature writing», unespécialité américaine qui propulse le lecteur dans les grands espaces. D’où lesigle Gallmeister, une patte d’ours qui orne chacun des titres. La collection«nature writing», qui compte des auteurs comme Pete Fromm ou Jean Hegland, adécollé en 2010 quand un dénommé David Vann, inconnu en France, a décroché leprix Médicis étranger et cartonné en librairie avec Sukkwan Island.

 

Immense lecteur, grandbosseur, Oliver Gallmeister a monté sa maison sur la seule force de sa passionpour les livres et les Etats-Unis. Il lit les manuscrits dans le texte et semontre capable d’aller convaincre un auteur jusqu’au fin fond du Montana. Grandamateur de pêche à la mouche, il lui arrive de faire des virées avec certains deses auteurs dans des conditions proches de celles décrites dans ses livres.Ancien consultant chez Arthur Andersen, il a aussi une connaissance de lafinance qui lui a permis d’être toujours bénéficiaire. Au côté de Guérif, c’estune nouvelle aventure qui commence. Avec des virées communes, sans doute, dansles bars et les grands espaces américains.

 

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Entretiens du journal Le Monde

 

LE CERCLE DES AUTEURS

Par G. Me.  Publié le 20juillet 2006

 

Fondéeen 1986, la collection dirigée par François Guérif fonctionne comme un club,dont les membres se recommandent mutuellement.

En tout juste vingt ans, la collection "Rivages, Noir" s'estimposée comme une soeur cadette turbulente de la "Série noire", et saprincipale rivale. Quand il la fonde en 1986, François Guérif dispose d'unatout non négligeable : il connaît bien la chaîne du livre pour y avoir exercédes fonctions nombreuses et variées. Il a été tour à tour libraire,journaliste, éditeur, directeur de revues, auteur. Né en 1944, François Guérifa créé en 1973, rue de Montholon, la première librairie parisienne spécialiséedans le roman policier. Passionné de cinéma, il signe aussi de nombreuxarticles et critiques de films dans des revues spécialisées.

En 1975 il est entré dansl'édition en tant qu'auteur. PAC (Presse Auto Conseil) disposait à l'époque deplusieurs collections : "Têtes d'affiche", "Grandsreporters", une collection de sport... Maurice Périsset fait appel àFrançois Guérif pour des monographies d'acteurs. Il écrira entre autres surPaul Newman, Marlon Brando, Robert Redford ou Steve McQueen, avant de proposeren 1978 une collection policière, "Red Label", qui va publier desinédits d'auteurs comme David Goodis, Robert Bloch, Frederic Brown.

"A l'époque le polarétait en pleine déconfiture. La "Série noire" venait de réduire saproduction de huit à quatre titres par mois. L'idée généralement admise étaitque le polar était mort et que la littérature populaire de l'avenir c'était lascience-fiction."  Mais PACfait faillite, entraînant la disparition de "Red Label" aprèsseulement vingt-cinq titres. François Guérif fonde alors la revue Polar,qui, sous divers avatars et chez différents éditeurs, poursuit sa carrièrejusqu'en 2001.

Les années 1979-1981 semblentmarquer un tournant. Le festival de Reims, grande fête consacrée au genrepolicier fondée en 1979, est un premier signe de renaissance du genre. Cesannées-là, François Guérif publie deux ouvrages de référence : Le Filmnoir américain et Le Cinéma policier français (éd. H. Veyrier, 1979 et1981).

Fayard fait appel à lui poursa collection "Fayard noir". "Delacorta dirigeait lesecteur français. Moi j'ai amené des étrangers comme Goodis, Thompson,Pronzini. Mais Jean-Claude Lattès, directeur de Hachette, détestait le romanpolicier. Il a arrêté arbitrairement la collection au vingt-deuxièmetitre." Sous la houlette de François Siry, PDG du Fleuve noir,François Guérif fonde alors Engrenage international. Mais une fois de plus, lechiffre fatidique de vingt-deux volumes étant atteint, la collection s'arrête.

Ces mésaventures expliquentson scepticisme lorsque Edouard de Andreis, de Rivages, fait appel à lui. "Jene connaissais pas Rivages. Ils publiaient surtout des guides. GillesBarbedette venait de fonder la collection de littérature étrangère. On ad'abord publié Joseph Hansen avant de se décider à créer une nouvellecollection."

Le premier succès c'est lamaquette de "Rivages, Noir", due à Jacqueline Guiramand. Puissurviennent deux miracles. Le premier, c'est que la collection parvient à passerenfin le cap du 22e titre. Le second, c'est le numéro 27, Lunesanglante de James Ellroy salué par un article enthousiaste deJean-Patrick Manchette, dans Libération. Les ventes s'envolent etFrançois Guérif crée alors "Rivages Thriller", une collection engrand format qui se développe parallèlement à la collection de poche"Rivages, Noir".

De fait, l'envol descollections policières chez Rivages coïncide avec un certain déclin de la"Série noire". De nombreux auteurs américains oubliés ou négligés parGallimard se retrouvent chez Rivages. "Au début Robert Soulatdisait que je ne publiais que les fonds de tiroir de la "Sérienoire", pour finir il ne voyait que moi pour lui succéder. Les grandescollections policières ont fait un magnifique travail de défrichage, mais n'ontpas traité les auteurs comme des écrivains à part entière. La "Sérienoire" publie Jim Thompson en grande pompe dans son numéro1000 mais refuse son livre suivant. En 2006, c'est encore pour les deux tiersdes traductions tronquées que l'on trouve en "folio policier"."Au fil du temps s'est constitué un catalogue où dominent les Américains, mêmesi on y trouve des Français (Claude Amoz, Dominique Manotti, Jean-HuguesOppel...), ou des Sud-Américains, comme Daniel Chavarria, Paco Ignacio TaiboII, etc.

"On me dit parfoisque je fais un travail de spécialiste, mais c'est le lecteur qui est devenuspécialiste. Il ne veut pas qu'on lui refile n'importe quoi, il a déjà cela àla télé. On a trop privilégié la notion de genre au détriment de la notiond'auteur... Ce qui m'intéresse c'est la voix, l'écriture."  Dans cette logique, François Guérif a créé"Ecrits noirs", une collection destinée à publier des textes de sesauteurs favoris, qui ne relèvent pas strictement du genre policier, comme lesmémoires de Manchette, celles de Robin Cook ou le 1984 deDavid Peace. En fait "Rivages, Noir" fonctionne comme une famille ouun club, dont les membres se recommandent mutuellement, Ellroy y amène Bunker,Wetering fait venir Charles Willeford, Robin Cook John Harvey..., tandis que lemalicieux Donald Westlake fait figure de parrain, lui qui a fait obtenir en1997 à François Guérif un prestigieux Ellery Award décerné par l'associationdes Mystery Writers of America, et qui est venu cette année en France présiderles festivités du 20e anniversaire de la collection.

En deux décennies, le paysageéditorial a bien changé. Chaque éditeur ou presque a désormais sa proprecollection policière et le temps est peut-être révolu où l'une d'entre ellespouvait apparaître comme une figure de proue. Après tout, mieux vaut s'enréjouir, même si cette situation ne va pas sans poser quelques problèmes. "Lepolar explose, mais le lectorat ne s'est pas agrandi en proportion, ce qui faitmonter les enchères. Mais il y a de la place pour tout le monde à partir dumoment où l'on a une motivation."

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François Guérif :

« La surproduction de polars crée uneconfusion en librairie »

Le créateur de « Rivages/Noir » revient sur les trenteannées d’existence de la collection.

Propos recueillispar  Macha Séry  - Publié le 18 mars 2016

Elle compte parmi ses auteurs James Ellroy et JosephBialot, James Lee Burke et Chester Himes, Tony Hillerman et James Sallis,Jerome Charyn et Hervé Le Corre, Elmore Leonard et Dennis Lehane ou encoreDavid Peace… La mythique collection de poche « Rivages/Noir » fêteson 30e anniversaire et son 1 000e numéro.Entretien avec son créateur et directeur, François Guérif.

En 1986, comment l’édition de polars se portait-elle enFrance ?

Le polar était en pleine récession, supplanté par lascience-fiction. La « Série noire » de Gallimard, qui publiait huitromans par mois, avait divisé par deux le nombre de ses parutions. Le Masquen’éditait plus que les livres d’Agatha Christie et de Charles Exbrayat.« Fleuve/Noir » déclinait. « Engrenage international » et« Fayard/Noir », deux collections que j’avais dirigées, avaientdisparu et « Sueurs froides » (Albin Michel) était sur le point des’arrêter. Les Américains n’étaient plus traduits. Le polar souffrait d’êtrestandardisé. Il se bornait à « cigarettes, whisky et petites pépés ».Les livres étrangers étaient tronqués. Les ventes baissaient. Le marché n’étaitpas porteur, disait-on.

Votre volonté fut-elle d’abord ­patrimoniale ?

Un jour, on m’a offert un ouvrage de bibliographie sur lepolar recensant toutes les publications par auteur. Lorsque j’ai découvert cequi manquait en France, j’ai sauté en l’air ! Imaginez que, à l’époque, ily avait quantité d’inédits de Jim Thompson, David Goodis, William RileyBurnett, Charles Williams, Jonathan Latimer… Ce sont donc les premiers auteursde la collection.

Le plus compliqué était de trouver des exemplaires de leurslivres pour les faire traduire. L’agent français de David Goodis n’en possédaitpas et son agent américain se demandait pourquoi diable on s’intéressait à unauteur oublié. Aujourd’hui, Goodis est considéré comme un classique du romannoir et, en 2017, sa ville natale, Philadelphie, fêtera le centenaire desa naissance. Depuis, je n’ai jamais dévié de cet élan premier : publierles inédits des grands auteurs et en trouver d’autres, par exemple WilliamBoyle, dont le premier roman, Gravesend, à paraître le30 mars, sera le 1 000e numéro de la collection. Lesymbole de la pérennité du genre.

Quelques années plus tard, la collection est menacée et JamesEllroy ­vous sauve la mise. Quelles furent ­les circonstances de cetévénement ?

Je découvre Lune sanglante (1987) etl’agent d’Ellroy m’impose, si je veux en obtenir les droits, d’acheter en mêmetemps deux autres titres de cet inconnu, qui complètent la trilogie« Lloyd Hopkins », qu’ont refusée, je l’apprendrai plus tard,d’autres éditeurs français. C’est un risque financier. A l’époque, nous n’avonspas la collection grand format, « Rivages/Thriller », crééeen 1988 : rien que le poche. Pour amortir les coûts de traduction, ilfaut donc en vendre 25 000 exemplaires.

Malgré une belle image de marque, la collection va mal, etEdouard de Andréis, le créateur des éditions Rivages, pense qu’un tel projetest une catastrophe et cherche à m’en dissuader. Mais j’ai toujours étéjusqu’au-boutiste et je ne supporte pas qu’on discute mes choix. Le livreparaît. Aucun frémissement en trois semaines. Dans Paris, la rumeur s’estrépandue que l’auteur serait un facho. Je la rapporte au téléphone à mon amiJean-Patrick Manchette, qui me dit avoir adoré Lune sanglante.L’information ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd et l’attachée de presse dela collection contacte Libération, qui sollicite alorsManchette pour qu’il se fende d’une critique. Les ventes ont immédiatementdécollé. D’autres articles ont suivi, et le succès d’Ellroy nous a offert unerespiration financière.

Comment définiriez-vous la ligne ­éditoriale de« Rivages/Noir » ?

« Que faut-il pour écrire un bon polar ? », medemandait-on au début. Une femme fatale, un gangster, un privé ? Jerépondais : « Tout cela ou rien de cela. » Dans« Rivages/Noir », il y a des livres haletants, d’autres où il ne sepasse rien, à l’exemple de Comme un rat mort (1986),duNéerlandais Janwillem Van de Wetering, et des romans qui n’ont rien depolicier, à l’instar de La Blonde au coin de la rue (1986),de David Goodis, ou Noir comme un souvenir (1987), deJonathan Latimer, histoire d’un safari en Afrique.

Ce qui importe, c’est l’écriture, « a voice » –une voix – comme disent les Anglo-Saxons. Manchette disait que la révolutioncommence par là. Il faut relire ses Chroniques (« Rivages/Noir »,1996), où il revendique haut et fort le roman noir comme genre majeur, alorsque des auteurs de polars aussi talentueux que Michel Lebrun avaient tendance,à l’époque, à en minimiser les difficultés. « Vite écrit, vite lu. »Pour Manchette, le polar est une affaire sérieuse. Il va même plus loin enaffirmant que c’est ça, précisément, la littérature. Il a cette phrasemagnifique : « On dit qu’on est dans un ghetto. Or, c’est lalittérature blanche qui est un ghetto, car nous, nous avons deslecteurs. » Rivages est une famille, reliée par l’écriture.Wetering m’a fait connaître Charles Willeford, Donald Westlake m’a faitdécouvrir James Crumley et James Ellroy, Edward Bunker, l’auteur d’Aucunebête aussi féroce (1992).

Aujourd’hui, un livre acheté sur ­quatre est un polar, et ondénombre au moins 150 collections spécialisées. Le marché est-ilsaturé ?

Oui, et l’effet malsain est une hausse des enchères pours’octroyer les droits de livres étrangers. Et, même si un roman acheté surquatre est un polar, la masse de lecteurs n’a pas augmenté proportionnellementau nombre de titres disponibles. Cela crée une confusion en librairie, unesurproduction, et les amateurs sont perdus.

En trente ans, quelles sont ­les rencontres qui vous ontmarqué ?

Toutes celles avec le speedé Ellroy. Il m’a fait visiterLos Angeles et j’ai partagé sa chambre d’hôtel. Il m’a montré la maison où il ahabité après l’assassinat de sa mère. Le soir, son père était toujours absentet James m’a raconté qu’enfant il se couchait dans l’herbe pour regarder lesphares des voitures qui circulaient sur les voies rapides et il sedemandait : « Qui sont tous ces gens ? Ils ont une vie.Moi aussi, un jour j’en aurai une. » Il y a aussi beaucoupd’histoires avec Léo Malet.

Le plus grand buveur – même Robin Cook, connu comme le loupblanc dans les bars de Londres, a dû s’avouer vaincu –, fut William McIlvanney.En 1991, la ville de Bobigny décide de baptiser une place du nom deDashiell Hammett et l’invite pour l’inauguration. Il est prévu qu’il dîne chezmoi et me demande s’il peut venir accompagné d’Howard Fast, l’auteur de Spartacus (1951),que j’avais lu à 16 ans ! Celui-ci nous raconte plein de choses et, aumilieu du repas, William se lève et chante une vieille ballade écossaise. Toutle monde a pleuré.

Parcours. FrançoisGuérif

1944  Il naît à LaLimouzinière (Loire-Atlantique).

1973  Il ouvre à Parisla librairie Au Troisième Œil, spécialisée dans le cinéma, le roman policier etla SF.

1979  Il devientrédacteur en chef de la revue Polar.

1986  Création de« Rivages/Noir ».

1997  Il est lepremier non-Américain à recevoir le prix Ellery Queen qui récompense lemeilleur éditeur de l’année.

2013  Il publie Dupolar. Entretiens avec Philippe Blanchet  (Payot).

 

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Coupde surf sur le web

 

 

FRANÇOISGUÉRIF, REGARD NOIR SUR ÉPOQUE NOIRE

 

ARTICLE 11 - samedi 2 aout 2008

 

Propos recueillis par Lémi

 

Ça n’a pu vouséchapper : l’époque est devenue aussi sale et poisseuse qu’un roman deJames Ellroy. Plus sombre qu’un ouvrage de Jim Thompson. Et aussi dépourvued’espoir qu’un livre de Bunker. Comme si l’on vivait en plein roman noir. Pourde vrai. Quand un pays se fait théâtre d’un genre littéraire à part, le mieuxest de revenir aux sources. Et de donner la parole à l’un des plus grandsspécialistes du genre : François Guérif.

Auteur d’une flopée debouquins sur le cinéma policier, considéré par le grand Manchette comme uneréférence en matière d’édition noire, le grand patron de la collection RivagesNoir  a beaucoup de choses à dire. De ses débuts d’éditeur à sesrécentes vitupérations contre le traitement inique réservé à l’un de sesauteurs, Cesare Battisti, François Guérif s’est confié à Article11 .Pour une interview noire. Forcément.

 

Quand vous avez lancé RivagesNoir en 1986, vous aviez une idée claire de ce que vous vouliezfaire ?

Oui. Rivages , c’était la continuation de trois collectionlancées avant. J’ai commencé en 78 avec Red Label , unecollection où je voulais publier des inédits de grands auteurs comme JimThompson ou David Goodis et éviter la standardisation des livres. C’était alorsla maladie du polar : sous prétexte qu’il s’agissait de collectionspopulaires, on les réduisait à un même nombre de pages et on les formatait. Laplupart du temps, les manuscrits originaux étaient coupés, y compris dans descollections prestigieuses comme la Série Noire .

Je voulais restituerles textes intégraux. Mais la maison d’édition de Red Label , Pac, a fait faillite. J’ai ensuite codirigéla première version de Fayard Noir . Enfin,j’ai dirigé pendant deux ans la collection Engrenage international  auFleuve noir avant que ça ne s’arrête. C’est là que Rivages m’a engagé. Tout desuite, ça a été différent : j’avais des gens qui me lisaient et sepassionnaient.

Et vous vous êtes attaqué auproblème de la traduction.

C’est essentiel quandon publie beaucoup d’auteurs étrangers. Il n’y a pas de mystère : même lemeilleur écrivain du monde devient nul si on le sabote. James Ellroy, parexemple, a un style très fort ; si on l’aplanit, c’est choquant. Pareilavec Jim Thompson : quand la Série Noire  aédité Le Démon dans la Peau  avec une traduction ratée,le livre était tellement fort qu’il en restait quelque chose. Mais cettetraduction était une parodie : dès qu’il y avait des difficultés dans letexte original, la traductrice s’était contentée de les couper. C’étaiteffarant…

Vous avez commencé en publiantessentiellement des auteurs américains. Pourquoi ?

De la fin des années 70jusqu’en 1995, le polar a eu des hauts et des bas, avec beaucoup de collectionstrès éphémères. Quand j’ai lancé Rivages , nous avonspublié Hugues Pagan, un auteur français qui ne s’est pas très bien vendu. Unami journaliste m’a dit : « Pagan est déjà publié chezAlbin Michel. Toi, tu es le seul à aller chercher des inédits de Jim Thompsonou de nouveaux auteurs anglo-saxons. Pourquoi veux-tu faire ce que les autresfont ?  » Je me suis dit qu’il avait raison.

Au départ, c’était doncune collection à forte connotation anglo-saxonne. Plus tard, quand les autreséditeurs ont commencé à délaisser les auteurs français, j’y suis revenu. Etj’ai aussi publié des auteurs d’autres horizons : Paco Ignacio Taibo, parexemple, ou des écrivains allemands, japonais, danois, suédois, italiens… Mêmesi les locomotives sont restées des auteurs américains.

C’est avec James Ellroyque Rivages Noirs a trouvé son équilibre économique ?

Oui. Jusque là, cen’était pas gagné, nous avions des difficultés financières. Ellroy, c’était unegrosse prise de risque, personne ne voulait le publier tant les droits étaientchers pour un auteur inconnu. Pourtant, c’est le succès de Lune Sanglante  qui nous a donné l’oxygènefinancier.

Dès la première lecture, vousavez compris que Lune Sanglante était un grand livre ?

J’avais le sentiment den’avoir jamais rien lu de tel, j’étais scotché. J’ai dit : on y va !Mais quand le livre est sorti, tout le monde s’en foutait, les gens n’étaientpas convaincus. Certains se demandaient même si Ellroy n’était pas d’extrêmedroite… C’est grâce à un papier de Jean-Patrick Manchette dans Libération  que ça a marché. Les termes qu’il aemployé à propos de l’écriture d’Ellroy étaient formidables : « Une extraordinaire puissance d’arrêt  ». Là,c’était parti.

Vous évoquiez lesinterrogations sur la couleur politique d’Ellroy. Quand il a déclaré «  Jesuis un homme de droite », ça a été mal perçu ?

C’est vrai qu’il a ditça. Mais on lui a aussi prêté beaucoup de propos ahurissants. Robert Deleuze,dans son Dictionnaire sur les maîtres du roman policier, a mis dans sa bouchedes déclarations homophobes ou racistes qu’il n’avait jamais tenues… Si Ellroyl’avait eu en face de lui, il l’aurait assommé…

Je comprends ce qui achoqué chez Ellroy : ses personnages sont parfois des ordures. Il n’y apas – contrairement au néo-polar français où un héros valeureux fait face à desordures – de héros admirable. Il emploie un langage particulier aussi. Il l’adit dans l’émission Un siècle d’écrivain  :« C’est parce que j’emploie ce langage profane qu’utilisent souventles gens racistes que ça choque. Mais qu’on en déduise que je suis raciste ethomophobe est stupide  ».

Cette capacité d’auteursaméricains, tels Jim Thompson, Ellroy ou Jerry Stahl, à mettre en scène dessalauds finis, c’est ce qui fait leur force ?

Non, ce qui fait leurforce, c’est l’écriture. « La révolution passe d’abord parla révolution de l’écriture  », disait Manchette. Ce qui faitaussi leur force, c’est leur clairvoyance. Pour Ellroy, la véritable histoirede l’Amérique est celle du crime, des liens entre mafia, show-business et mondepolitique. Quant à Bunker, personne n’a jamais parlé de la prison comme lui. Aufond, tout tient à l’absence de fioritures, à la lucidité, au courage etsurtout à l’écriture.

En France, on considère que lepolar doit être de gauche. C’est le cas ?

Quand on parle depolar, on parle souvent de roman noir, un genre plutôt progressiste. C’estl’idée du roman policier qui montre le monde tel qu’il est et dénonce lacollusion entre le pouvoir et le fric. Mais que le polar soit de gauche n’estpas si évident. Si Manchette a raison quand il disait que les plus grandsauteurs du roman noir dénoncent et s’insurgent, on oublie aussi que d’autressont de droite. Mickey Spillane, par exemple, était très très à droite… EtA.D.G. signait des chroniques à Minute … Il y enavait d’autres, dont certains se vendaient bien. Mais c’est vrai que le problème chez les auteurs français – Manchette était lepremier à le dire – est cette prédominance de l’auteur voulant se donner bonneconscience.

Dans la lignée de Mai 68 et dunouveau polar ?

Oui. Et je trouve ça unpeu manichéen. Didier Daeninckx, par exemple, est un auteur trèsintéressant ; mais dans Métropolis , la seulefille à ne pas être pourrie est syndiquée et de gauche. Il y a ce besoin des’identifier à quelqu’un, d’avoir un personnage positif.

En fait, les romans noirs les plusmarquants sont des révélateurs sociaux ?

Absolument. C’est ceque dit Manchette : ils sont des révélateurs, pas autre chose.

Vous partagez cettevision ?

Ce que j’admire chezManchette, c’est qu’il a réfléchi sur son outil de travail. Il est revenu auxsources et ne se souciait pas d’agir pas dans une collégialité de bon aloi.Manchette faisait passer son amour de la langue avant la bonne camaraderie. Çamanque aujourd’hui.

Il y avait aussi un travail de réflexion important chez lui. Il fut le premierà dire : «  Le roman noir est la grande littératuremorale de notre époque.  » Alors qu’il était reconnu par desgens comme Echenoz, il refusait de lâcher cet univers. Il était d’ailleurs trèssarcastique vis-à-vis de ceux qui devenaient « blancs » pour se fairebien voir. Il a toujours défendu cette littérature, affirmant que c’est avecelle qu’on pouvait dire les choses les plus essentielles. Tout en étantconscient que ce n’était pas ça qui ferait la révolution…

En fait, Manchettesoulevait des questions importantes. Je trouve admirable qu’il se soit arrêtéde publier après La Position du tireur couché . Il aexpliqué avoir fait le tour d’une série de romans et ne pas vouloir refaire lamême chose. C’est là qu’il m’apparaît proche d’Ellroy, qui disait :« Avec mon talent, je pourrais faire des Lloyd Hopkins 1 toute ma vie. Mais quelintérêt ? J’ai dit ce que j’avais à dire. » Pour Le Dahlia noir , il a du supplier son éditeur américainde le laisser écrire un livre plus ambitieux. Et Le Dahlia noir  a finalement fait exploser Ellroy.

Il faut savoir seremettre en jeu. Tout le contraire d’une Mary Higgins-Clark assiseconfortablement sur ses ventes. Depuis 40 ans, elle fait exactement la mêmechose. Et depuis 40 ans, les critiques disent exactement la même chose :« Elle est diabolique…  » Franchement, vous en liseztrois, ça devient illisible…

Dans l’histoire du polaraméricain, la Grande Dépression reste un moment fondateur. Il y a un équivalenten France ?

J’en reviens àManchette : « C’est non seulement la GrandeDépression, mais c’est aussi le moment où toutes les révolutions ont échoué.  »On le sent chez Dashiell Hammett, il y a ce désespoir qui emporte tout. Hammettmontre la laideur du monde : il n’y a de beauté que dans le cœur de ceuxqui résistent.

Si aujourd’hui, il y ades choses intéressantes dans le roman noir français, c’est qu’on retrouvecette même impasse sociale. Tout a échoué, nous sommes dans une période dereflux des idéaux. Et là, le roman noir français est plus fort. Je pense àDominique Manotti, à Hugues Pagan et son travail formidable sur la police, àPascal Dessaint ou à Jean-Hugues Oppel. Et puis à Daeninckx, à Gérard Delteil,à Benacquista au départ… Ce sont des romanciers ancrés dans la réalité, quis’attaquent au monde et suivent le chemin initié par Hammett.

On en vient à la situationpolitique actuelle : comment la voyez-vous ?

Négativement, bien sûr.J’avais fait un papier dans Témoignage Chrétien ,pour leur numéro 51 bonnes raisons de ne pas voter pour Sarkozy .Le titre était « On vit une époque formidable » 2 . Vous avez des gensqui arrivent au tribunal la gueule en sang et qui sont accusés d’avoir molestéle gardien de la paix sans une coupure qui les amène au tribunal. On pourchasseles enfants dans les écoles, on met les étrangers en rétention… Il y a unclimat insupportable : des flics à tous les coins de rue et le triomphe dufric roi. Comme si le pays avait profondément régressé… Ça me rappelle cettedéclaration du dictateur Salazar : « Il y a des pauvres et desriches au Portugal. Et il faut que les pauvres comprennent qu’ils sont pauvres.  »J’ai le sentiment d’entendre ça en ce moment. Et puis il y a cette arroganceinsupportable des gens de droite.

Il n’y a plus d’espoirs,alors ?

J’étais optimisteavant. Là, je suis très inquiet parce que la relève du PS, à commencer parSégolène Royal, n’est vraiment pas terrible. Ça explique le sursaut depopularité de Besancenot, qui a un discours complètement irrationnel.

C’est triste, les gensvotent sans y croire. A l’époque, Mitterrand contre Giscard, ça avait un sens.Si dans quatre ans c’est encore Royal contre Sarkozy, on aura envied’abandonner. D’ailleurs, on m’a raconté que le jour où le PS a officiellementdésigné Royal pour la présidentielle, l’UMP a sablé le champagne…Il se passedes choses gravissimes et personne ne réagit.

Vous pensez à Cesare Battisti,un des vos auteurs ?

J’ai connu Cesare quandj’ai publié ses livres : Dernière Cartouche , Avenida  Revolucion  et Terres Brûlées .

Je le connaissais àl’époque de son arrestation, puis de sa libération. Je savais qu’il avaitl’intention de se tirer, ce qu’on peut comprendre.

J’ai ensuite publié Ma Cavale , oùBattisti décrit ça. Le manuscrit m’est arrivé par des voies tortueuses. Il yavait une note qui l’accompagnait, disant : « Je te fais confiance, comme d’habitude : tu lis le livre, situ ne le trouves pas bien, ne le publie pas ; si tu le trouves bien, faiston métier.  »

Vous étiez soussurveillance ?

Oui, on était surécoute. Je me rappelle avoir eu Claude Chabrol au téléphone et le lui avoirdit. Il a répondu, « Je sais bien qu’ils nousentendent. Et j’en profite pour leur dire que ce sont des cons. Des salauds etdes cons. Quand je tournais Nana, c’était pareil, ils croyaient que je cachaisdes mecs des Brigades Rouges et ils sont venu m’emmerder.  »

Pour en revenir ausujet, quand Mitterrand a donné sa parole, il l’a fait en tant que président dela République française. Que l’ahuri qui réforme le Code pénal, Perben, dise,«  Ok, on vous a laissé vous installer et croire que vous étiezà l’abri. C’est terminé maintenant  », c’est scandaleux. Commed’arrêter Marina Petrella quand elle vient chercher ses papiers…

Ça fait penser aux piègestendus aux sans papiers dans les préfectures…

Exactement. J’ai eu desemmerdes avec un écrivain que je publie, Hafed Benotman 3 . Lui n’a pas ses papiers et ne peut pas travailler. Il estmenacé d’expulsion alors qu’il est né en France. Quand on lui a proposé duboulot – Doillon voulait l’engager comme assistant -, il n’a pas eu ledroit… En fait, on refuse de lui donner ses papiers en lui disant detravailler, d’arrêter d’être un parasite. Mais il n’a pas le droit detravailler sans papiers. C’est juste monstrueux.

 

1  Personnageprincipal d’une trilogie d’Ellroy : Lune sanglante  / A Cause de la Nuit  / La Colline aux Suicidés .Lecture recommandée...

2  Soit :"Nous vivons une époque fabuleuse où :  × des policiers enpleine forme physique traînent devant les tribunaux des gens cabossés qu’ilsaccusent d’agression envers eux,  × des enfants sont attendus par lapolice à la sortie des écoles,  × le pilier d’un gouvernement enfaillite se prétend le candidat de « la rupture » avec leditgouvernement,  × un homme qui passe son temps à brandir des menacesdit vouloir nous guérir de la peur,  × des gens qui demandent l’asilepolitique sont renvoyés dans leur pays, où ils trouvent la mort, × un homme qui prêche l’exclusion parle de venir au secours des« handicapés de la vie » etc., etc. Bref, une époque où un pyromanese fait passer pour un pompier. Cet homme-là est bien l’héritier d’un systèmedans lequel un Président voleur se posait en victime. De façon tout aussi« abracadabrantesque », cet homme qui stigmatise les autres seprétend victime d’une diabolisation. C’est parce qu’il dit tout et soncontraire, qu’il sème la confusion et la division sous la bannière« ensemble » que je ne voterai pas Nicolas Sarkozy."

3  Un bon article sursa situation sur  Rue89 .

 

 

  • Sujet: CINEMA
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